Skip to main content

Conférencières et conférenciers d’honneur du colloque de l’APFUCC 2022

 


© Amandine Fénix

Leïla Bahsaïn

Écrivaine

Leïla Bahsaïn est née et a grandi au Maroc. Elle est diplômée d’un Master 2 en management des relations humaines obtenu à l’Université de Besançon (France) où elle vit depuis une quinzaine d’années. Leïla Bahsaïn est l’auteure de plusieurs nouvelles parues dans la revue Apulée (Éditions Zulma), et dans des publications collectives. Son premier roman “Le Ciel sous nos pas” (Éditions Albin Michel, 2019) a été finaliste du Prix du Roman France Télévisions, du Prix de la littérature arabe et du Prix Cazes, et a été récompensé par le Prix Méditerranée et le Prix du Livre Européen et Méditerranéen. “La Théorie des aubergines”, son deuxième roman, est paru en mars 2021 chez Albin Michel.

« La langue française comme outil de riposte aux dominations – Regard intersectionnel »

Questionner aujourd’hui le rapport à la langue française des femmes marocaines – et de celles qui écrivent en particulier – à l’aune de l’unique prisme de l’histoire coloniale de la France est-il toujours pertinent ? Cette domination-ci ne serait-elle pas davantage présente dans l’esprit de celui qui la formule que dans celui de la femme qui s’émancipe, qui s’exprime ? Il y a des dominations qui s’exercent de manière plus sournoise que d’autres.

L’arabisation du système éducatif marocain dans les années quatre-vingt a engendré une réalité complexe qui impose une nouvelle lecture des dominations et des discriminations faites aux femmes.

Après son indépendance en 1956, le Maroc a connu l’émergence d’intellectuels contestataires – majoritairement francophones – qui représentaient une menace pour le pouvoir politique en place. L’arabisation du système scolaire dans les années quatre-vingt ne fut pas plus un moyen de se réapproprier une arabité perdue qu’un moyen de museler le peuple. L’arabisation fut en réalité une faillite annoncée (et volontaire) du système éducatif marocain.

En même temps, s’opéra un népotisme linguistique : l’élite politique et économique du pays, en classe dominante consciente des enjeux qu’implique la question linguistique, en profita pour œuvrer à sa propre « reproduction des élites » en envoyant ses enfants dans les écoles françaises implantées dans le pays. L’ascenseur social s’en trouva en panne, définitivement à l’arrêt. La « mutilation » du langage, outil indispensable à la structuration et à l’expression de la pensée, dressa l’acte d’une infirmité sociale qui causa la rareté des transfuges. Car un état de fait demeure : au Maroc, encore aujourd’hui, les réussites sociales dépendent dans une large mesure de la maîtrise de la langue française.

S’accaparer la langue française, la maîtriser, devient dès lors, pour les femmes nées après l’indépendance et scolarisées en langue arabe, non seulement le moyen de s’approprier un outil majeur qui a servi d’instrument à leur exclusion, mais aussi celui par lequel sont transcendées, contournées, ou au moins apaisées les autres formes de domination et de discrimination subies. La langue française s’apparente alors à un territoire d’affranchissement symbolique de plusieurs dominations : sociales, masculines, législatives (les femmes héritent moitié moins que les hommes, par exemple)…

Lors de cette conférence, nous donnerons quelques repères temporels quant à la présence de la langue française au Maroc et comment s’opère ce passage d’un rapport associé à la domination coloniale vers un rapport marqué par la domination de classe. Nous évoquerons ensuite l’importance de la langue française dans la société marocaine actuelle et les mécanismes en œuvre qui en font un moyen de riposte aux différentes dominations exercées sur les femmes. Nous nous attarderons ensuite sur la représentation de ces enjeux dans la littérature marocaine d’expression française à travers les trajectoires des personnages féminins puis comment, la maîtrise de cette langue, et l’écriture littéraire en particulier, permettent la réappropriation d’une liberté et d’une vérité plusieurs fois volées.

 

 


© Dinaïg Stall

Mariève Maréchale

Écrivain·e et professeur·e enseignant·e (UQAM, IREF)

Mariève Maréchale est écrivain·e. Iel enseigne aussi les littératures, les études féministes et queer dans des universités montréalaises. Iel s’intéresse aux littératures lesbiennes et queer, aux pratiques du tiers espace, à l’enfance et à la blanchité, de même qu’aux classes sociales. Mariève a publié La Minotaure, premier livre de la collection Queer chez Triptyque, en 2019 et qui a été finaliste au Prix du Gouverneur général la même année, ainsi que deux livres de poésie, La chambre organique en 2012 et À la cime de mes racines, un miroir sur ma tête en 2007.

« Du lesbianisme conceptuel au queer conceptuel »

Cette présentation, à a fois réflexive et poétique, poursuivra la réflexion entamée par l’écrivaine étatsunienne Dorothy Allison dans son texte intitulé « Lesbianisme conceptuel » dont certaines parties ont été originalement publiées en 1983 dans le New York Native puis reprises et augmentées dans son fameux Skin : Talking About Sex, Class & Literatureen 1994. Il s’agira plus précisément de la placer dans un contexte canadien, plus particulièrement dans les milieux universitaires et littéraires dans lesquels le queer semble souvent être utilisé uniquement comme un concept, voire un idéal plus qu’une réalité comme l’était alors le lesbianisme dans les années 1980 aux États-Unis auprès de plusieurs militantes et associations féministes. Je discuterai entre autres des effets de ce queer conceptuel, par exemple le renforcement de certaines binarités occidentalocentristes (corps/esprit, sujet/objet, colon/colonisé, homme/femme, normal/déviant) et la marginalisation des personnes aux pratiques et identités queer ayant pourtant informé le développement du concept.

 


© Margot Irvine

Margot Irvine

Professeure, University of Guelph, Ontario, Canada

Margot Irvine est la directrice de l’École des langues et littératures à l’Université de Guelph. Sa recherche porte sur les récits de voyages des femmes au dix-neuvième siècle et sur le réseau de femmes de lettres qui ont créés le prix Femina en 1904. Elle est l’auteure de Pour suivre un époux : Les récits de voyages des couples au XIXe siècle (Nota bene, 2008; prix du meilleur livre de l’APFUCC, 2009) et a co-dirigé des ouvrages collectifs : Risques et regrets. Les dangers de l’écriture épistolaire (avec Geneviève De Viveiros et Karin Schwerdtner, Nota bene, 2015) et The Unknowable in Literature and Material Culture: Essays in Honour of Clive Thomson (avec Jeremy Worth, CSP, 2019). Ses articles ont paru dans les revues Études françaises, Women in French Studies, Viatica, Nineteenth-Century French Studies, et @nalyses. Avec Frédérique Arroyas, elle est la rédactrice-en-chef de la Nouvelle Revue Synergies Canada.

« Voyageuses et féminisme(s) : les Notes d’une voyageuse en Turquie (1910) de Marcelle Tinayre »

Marcelle Tinayre, une auteure bien connue à la Belle Époque, est aussi une figure associée au féminisme de la première vague en France. Ses romans, par exemple La Maison du péché (1902) et La Rebelle (1906), mettent en scène des femmes qui s’émancipent grâce à leur accès à l’éducation et à une activité professionnelle. Si elle y propose des héroïnes qui arrivent à marier leurs carrières et leurs vies privées de façon relativement harmonieuse, un regard sur la vie de Tinayre révèle qu’un tel équilibre n’était pas chose simple pour une auteure au début du vingtième siècle, qui cherchait à être reconnue pour ses contributions intellectuelles. Rachel Mesch (2013) a analysé le scandale médiatique qui a éclaté lorsque Tinayre avait été nominée pour la légion d’honneur en 1908, distinction qu’elle ne recevra finalement pas. Dans cette conférence, nous poursuivrons cette analyse puisque c’était pour s’échapper à ce scandale que Tinayre quitte la France en 1909 pour voyager à Andrianople et à Constantinople qu’elle décrira dans ses Notes d’une voyageuse en Turquie (1910). Comme pour d’autres Européennes à la même époque qui voyagent dans l’Empire ottoman et en Orient, la description de la vie des femmes non-européennes occupe une place importante dans son récit. Tinayre propose une démythification importante de ces femmes, en grand contraste avec les récits de ses contemporains mâles (surtout Pierre Loti et Claude Farrère). Toutefois, comme le montrent des critiques récentes (Kemp, 2017; Rogers, 2013) de la participation des Françaises à l’entreprise coloniale et à la mission civilisatrice, il est important de reconnaitre et d’analyser à quel point l’activité de voyager profite d’abord aux voyageuses elles-mêmes. Pour Tinayre, soucieuse de sa réputation et de son image médiatique, comment est-ce que le voyage en Turquie lui a permis de réhabiliter sa propre image en France? Et, pour aller plus loin, comment est-ce que l’activité de voyager a servi à Tinayre et aux féministes de la première vague en France qui sont nombreuses (v. Audouard, Auclert) à avoir quitté l’Europe et à avoir publié des récits viatiques?

Cliquez ici pour revenir en haut de la page